Dimanche poétique de Celsmoon
Une fois n'est pas coutume mais ce dimanche j'ai choisi quelque chose de différent.
Cela sera de la poésie sans en être vraiment.
J'ai chaud
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Ne me touche pas ! J'ai chaud... Ecarte toi de moi ! Mais ne reste pas ainsi debout sur le seuil ; tu arrêtes, tu me voles le faible souffle qui bat de la
fenêtre à la porte, comme un lourd oiseau prisonner...
J'ai chaud... Je ne dors pas. Je regarde l'air noir de ma chambre close, où chemine un râteau d'or, aux dents égales, qui peigne lentement, lentement, l'herbe
rase du tapis. Quand l'ombre rayés de la persienne atteindra le lit, je me lèverai, peut-être... Jusqu'à cette heure-là, j'ai chaud.
J'ai chaud. La chaleur m'occupe comme une maladie et comme un jeu. Elle suffit à remplir toutes les heures du jour et de la nuit. Je ne parle que d'elle ; je me
plains d'elle avec passion et douceur, comme d'une caresse impitoyable. C'est elle, regarde, qui m'a fait cette marque vive au menton, et cette joue giflée, et mes mains ne peuvent quitter les
gantelets, couleur de pain roux, qu'elle peignit sur ma peau. Et cette poignée de grains d'or, tout brûlants, qui m'a sablé le visage, c'est elle, c'est encore elle...
Non, ne descends pas au jardin ; tu me fatigues. Le gravier va craquer sous tes pas, et je croirai que tu écrases un lit de petites braises. Laisse ! Que
j'entende le jet d'eau qui gicle maigre et va tarir, et le halètement de la chienne couchée sur la pierre chaude. Ne bouge pas ! Depuis ce matin je guette, sous les feuilles évanouies de
l'aristoloche, qui pendent comme des peaux, l'éveil du premier souffle de vent. Ah ! J'ai chaud ! Ah ! Entendre autour de notre maison, le bruit soyeux, d'éventail ouvert et refermé d'un pigeon
qui vole !
Je n'aime déjà plus le drap fin et froissé si frais tout à l'heure à mes talons nus. Mais au fond de ma chambre, il y a un miroir, tout bleu d'ombre, tout
troublé de reflets...
Quelle eau tentante et froide...
Imagine, à t'y mirer, l'eau des étangs de mon pays ! Ils dorment ainsi tout l'été, tièdes ici, glacés là par la fusée d'une source profonde. Ils
sont opaques et bleuâtres, perfidement peuplés, et la couleuvre d'eau s'y enlace à la tige longue des nénuphars et des sagittaires... Ils sentent le jonc, la vase musquée, le chanvre vert...
Rends-moi leur fraicheur, leur brouillard où se berce la fièvre, rends-moi leur frisson, j'ai si chaud...
Ou bien, donne moi, mais tu ne voudras pas, un tout petit morceau de glace, dans le creux de l'oreille, et un autre là, sur mon bras, à la saignée... Tu
ne veux pas ? Tu me laisses désirer en vain, tu me fatigues...
Regarde, à présent, si la couleur du jour commence à changer, si les raies éblouissantes des persiennes deviennent bleues en bas, orangées en haut ?
Penche toi sur le jardin, raconte moi la chaleur comme on raconte une catastrophe !
Le marronnier va mourir, dis ? Il tend vers le ciel des feuilles frites, couleur d'écaille jaspée... Et rien ne pourra sauver les roses, saisies par la flamme avant
d'éclore... Des roses... des roses mouillées, gonflées de pluie nocturne, froides à embrasser...
Ah ! Quitte la fenêtre ! Reviens ! Trompe ma langueur en me parlant de fleurs penchées sous la pluie ! Trompe moi, dis que l'orage, là-bas, enfle un dos violet,
dis-moi que le vent, rampant, se dresse soudain contre la maison, en rebroussant la vigne et la glycine, dis que les premières gouttes plombées vont entrer, obliques, par la fenêtre ouverte
!
Je les boirai sur mes mains, j'y goûterai la poussière des routes lointaines, la fumée du nuage bas qui crève sur la ville...
Souviens-toi du dernier orage, de l'eau amère qui chargeait les beaux soucis, de la pluie sucrée, que pleurait le chevrefeuille, et de la chevelure du fenouil,
poudrée d'argent, où nous sucions en mille gouttelettes la saveur d'une absinthe fine !...
Encore, encore ! J'ai si chaud ! Rappelle-moi le mercure vivace qui roule au creux des capucines quand l'averse s'éloigne, et sur la menthe pelucheuse... Evoque la
rosée, la brise haute qui couche les cimes des arbres et ne me touche pas mes cheveux... Evoque la mare cernée de moustiques et la ronde des rainettes... Oh ! Je voudrais, sur chaque main,
le ventre froid d'une petite grenouille !... J'ai chaud, si tu savais... parle encore...
Parle encore, guéris ma fièvre ! Crée pour moi l'automne : donne-moi, d'avance, le raisin froid qu'on cueille à l'aube, et les dernières fraises d'octobre, mûres
d'un seul côté... Oui, il me faudrait, pour l'écraser dans mes mains sèches, une grappe de raisins oubliés sur la treille, un peu ridée de gelée... Si tu amenais, auprès de moi, deux beaux chiens
au nez très frais ? Tu vois, je suis toute malade, je divague.
Ne me quitte pas ! Assieds-toi, et lis-moi le conte qui commence par : " la princesse avait vu le jour dans un pays où la neige ne découvre jamais la terre, et son
palais était fait de glace et de givre..." De givre, tu entends ? de givre !... Quand je répète ce mot scintillant, il me semble que je mords dans une pelote de neige crissante, une belle pomme
d'hiver façonnée par mes mains... Ah ! J'ai chaud !...
J'ai chaud, mais... quelque chose a remué dans l'air... Est-ce seulement cette guêpe blonde ? Annonce-t-elle la fin de ce long jour ? Je m'abandonne à toi. Appelle
sur moi le nuage, le soir, le sommeil. Tes doigts sous ma nuque y démêlent un moite désordre de cheveux...
Penche-toi, évente, de ton souffle, mes narines, et presse, contre mes dents, le sang acide de la groseille que tu mords... Je ne murmure presque plus, et tu ne
saurais dire si c'est d'aise... Ne t'en va pas si je dors : je feindrai d'ignorer que tu baises mes poignets et mes bras, rafraîchis, emperlés comme le col des alcarazas bruns...
"J'ai chaud"
texte tiré du recueil " Le voyage égoïste " 1922 de Colette
Candace Lovely - Cat on a porch
Alors n'est ce pas là de la poésie ???
Cela s'appelle simplement le talent...
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La
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