Editions
Sabine Wespieser et Folio
Le mot de l'éditeur :
" Parce qu’elle était sans nouvelles de Gyl, qu’elle avait naguère aimé, la narratrice est partie sur ses traces. Dans le transsibérien qui la
conduit à Irkoutsk, Anne s’interroge sur cet homme qui, plutôt que de renoncer aux utopies auxquelles ils avaient cru, tente de construire sur les bords du Baïkal un nouveau monde
idéal.
À la faveur des rencontres dans le train et sur les quais, des paysages qui défilent et aussi de ses lectures, elle laisse vagabonder ses pensées,
qui la renvoient sans cesse à la vieille dame qu’elle a laissée à Paris. Clémence Barrot doit l’attendre sur son canapé rouge, au fond de l’appartement d’où elle ne sort plus guère. Elle brûle
sans doute de connaître la suite des aventures d’Olympe de Gouges, auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, de Marion du Faouët qui, à la tête de sa troupe de brigands,
redistribuait aux miséreux le fruit de ses rapines, et surtout de Milena Jesenská qui avait traversé la Moldau à la nage pour ne pas laisser attendre son amant. Autour du destin de ces femmes
libres, courageuses et rebelles, dont Anne lisait la vie à l’ancienne modiste, une belle complicité s’est tissée, faite de confidences et de souvenirs partagés. À mesure que se poursuit le
voyage, les retrouvailles avec Gyl perdent de leur importance. Arrivée à son village, Anne ne cherchera même pas à le rencontrer…
Dans le miroir que lui tend de son canapé rouge Clémence, l’éternelle amoureuse, elle a trouvé ce qui l’a entraînée si loin : les raisons de
continuer, malgré les amours perdues, les révolutions ratées et le temps qui a passé. "
« Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente »
Camille Claudel s’adressant à Rodin
J’ai lu ce livre pour le challenge de Théoma « les coups de cœur de la blogosphère » et il est plus que temps puisque la date limite de ce challenge est le 30 juin
2011 (donc : demain !).
J’ai bien crû que ça n’allait pas fonctionner pour ce roman. Les cinquantes premières pages ne m’ont pas emporté du tout. Le style de l’auteur ne m’accrochait pas.
Et puis d’un coup la magie a pris, et j’ai été emporté.
J’ai vraiment aimé la deuxième partie et la fin a fini de me convaincre. Elle est magnifique.
N’hésitez pas à ouvrir ce tout petit livre (138 pages) très vite lu de plus.
Vous y voyagerez à bord d’un transsibérien qui va à Irkoutsk.
Vous y rencontrerez des hommes qui portent les noms très russes et très virils d’Igor, un compagnon de voyage, et de Boris, un joueur d’accordéon, et qui laisserons
une trace marquante dans la mémoire d’Anne.
" La sihouette d'Igor se fondait dans la pénombre du couloir, apparaîssait et disparaissait dans le mince écran laissé par les
rideaux entrouverts. De temps en temps il allumait une cigarette, les volutes de fumée s'enroulaient autour de lui, brume légère et bleutée.../...
Cependant, sans lui, quelque chose m'aurait échappé, quelque chose de moi, de ma vie, qui m'avait mise dans ce train
pour mieux me rattraper. Aujourd'hui encore, je continue de penser qu'il était véritablement un guide, un ange discret. N'avez-vous jamais croisé de ces êtres qui semblent ne pas se trouver sur
votre chemin par hasard, mais par une sorte d'évidence si bouleversante que votre existence en est subitement transformée ?" (p51)
Des morceaux de texte qui vous rattrapent durant votre voyage et viennent vers vous juste au bon moment.
" J'avais cherché deux vers que je connaissais "J'étais absent de moi plutôt nuage indécis, un passant pas très sûr d'être vraiment quelqu'un" (A la
lisière du temps, Claude Roy).../...
Ces vers qui m'avaient bouleversée un jour me rattrapaient dans cette minuscule maison où la vie de Gyl m'échappait, où je n'étais pas
sûre d'être à ma place. Ils m'étaient d'un grand réconfort. Ce n'était pas la première fois qu'une telle chose se produisait, des mots, des phrases lues ici ou là avaient déjà volé à mon secours,
ou m'avaient tout simplement accompagnée. J'en éprouvais toujours un réel bonheur. "(p71)
Vous y rencontrerez une femme qui chante "Souliko" toute la journée pour oublier qu’elle a perdu deux fils en Afghanistan.
Une vieille dame qui vit encore avec son grand amour Paul, pourtant tué à 19 ans mais qui, pour autant, ne vivra pas une vie triste et sans attrait.
Paul que Clémence rencontre sur la plage, Paul qui lui apprend à nager, Paul qui lui fait la lecture sur le sable des « hommes bleus » de Vaillant.
Les mots de Clémence :
" C'est peut-être parce qu'il est mort que je continue à attendre que la vie commence, je crois que je l'ai toujours
attendue cette vie là, je veux dire la vie avec lui. L'autre, celle que j'ai vécue, c'était autre chose, c'était en attendant... Maintenant je suis une très vieille petite fille..."
(p99)
Vous y verrez un ciel coloré en rouge par des enfants et leurs cerfs-volants.
Vous y apercevrez la splendeur du lac Baïkal. «Mystérieux lac, vénéré comme un dieu.»
Lac
Baïkal, russie
Vous y apercevrez des petits morceaux de l’enfance d’Anne, sa grand-mère qui lui a appris le langage des arbres et de leurs ombres
" Et puis j'avais dit, C'est un chemin, tout ce temps-là est resté sur un petit chemin de campagne, un chemin de terre caillouteux,
bordé de haies et d'arbres dont les ombres me fascinaient. Oui, ce sont ces ombres des arbres sur le chemin auxquelles je pense, elles m'impressionnaient au point que j'évitais de poser les pieds
dessus, je les contournais, j'étais persuadée qu'elles étaient l'esprit des arbres, leur langage aussi. Les jours de ciel couvert, leur absence m'inquiétait. Ma grand-mère Jeanne prétendait
connaître ce langage et m'inventait des histoires où les arbres retenaient leurs ombres parce qu'ils étaient tristes ou en colère. Nous allions leur parler, elle et moi, nous leur demandions de
nous pardonner si nous avions commis une faute. Jeanne était une femme délicieuse, elle regardait le monde dans un perpétuel éblouissement qu'elle savait me communiquer. Elle aimait la terre, la
pluie, le vent. Je crois que je n'ai été petite fille qu'avec elle et sur ce chemin-là, je n'ai pas d'autres souvenirs, en tout cas aucun autre ne me semble parler de moi à cet âge... Parfois la
nuit, nous partions avec sa chienne, Z, au bord de la rivière. Elle voulait me faire apprivoiser la nuit. Assises au bord de l'eau, nous écoutions la nature bruissante qui, au retour, me suivait
jusque dans mes rêves... Plus tard, dans un musée, j'avais découvert un tableau de Cézanne, "la maison du docteur Gachet", j'avais fondu en larmes, le chemin et la maison un peu cachée par des
arbres, c'était tout à fait l'image qui m'accueillait lorsque je rentrais de promenade, Jeanne venait de mourir, j'étais encore adolescente, je ne devais plus jamais retourner dans cette
maison." (p100, 101)
Cézanne " La maison du docteur gachet "
Vraiment un très, très beau texte que je vous recommande chaudement.