.../... " Le papa de mes filles avait eu malgré tout, au début, une parcelle de l'ambition de mon amoureux, qui était de me tirer à la lumière du jour pour que je puisse m'épanouir en couleurs. Mais mon amoureux est bien entendu le seul à connaître les couleurs qui se cachent en moi, et elles régressèrent dès que je prononçai les mots fatidiques au café Mokka.
Les couleurs d'une personne apparaissent lorsque quelqu'un la voit très clairement et c'était ainsi que tu me voyais et que je te voyais. C'est donc cela l'amour ; c'est connaître désormais par coeur les nuances de son ami. Sans en oublier une seule.../..."
.../... "Neuf années de ma vie s'écoulèrent à Copenhague. Cette époque ne commença pas mal et allez savoir si je n'ai pas éprouvé purement et simplement quelque bonheur apparenté de loin à celui des livres d'adultes.
Les premiers mois à Copenhague furent septembre, octobre. Le soulagement que je ressentais par ces jours de douceur n'avait rien à voir avec la félicité éthérée des promenades d'hiver et de printemps en compagnie de mon amoureux à Reykjavik, c'était un soulagement formel avec un contenu.../..."
.../..."Au coin de Sjafnargata, je compris que tout était accompli. Haraldur devenu père dans la mort et moi, par contrecoup, sa fille.
"Mon enfant."
La vie nous avait joué un vilain tour car il y avait en lui beaucoup de fibre paternelle, comme il était apparu lors de la naissance de mes deux filles. Il y avait en moi aussi une fibre filiale particulière, qui se fit jour quand j'eus mon amoureux.
Il ne nous est pas donné d'être ce que nous sommes, même pas ça. Encore moins nous est-il donné d'être ce que nous pourrions devenir. C'est à peine perceptible en nous, en infime décalage par rapport à l'ombre faite maison, et les contours de nous-mêmes sont encore plus flous que ceux de l'ombre.../..."
Le Cheval Soleil
Steinunn Sigurdardottir
Roman islandais
Editions Héloïse d'Ormesson