Un petit livre dont je n'attendais pas grand chose ayant lue quelques billets, plutôt tièdes, sur la blogosphère. Pourtant il a été une très belle surprise.
Je n'ai, malheureusement, pas eu l'occasion de voir le film. Mais j'ai bien l'intention de le voir très vite...
Bon, l'histoire, je pense que tout le monde la connaît. Je vous mets tout de même le 4ième de couverture :
" Antonio est maçon, il mène une vie tranquille en compagnie de sa femme Anne-Marie et de leur fils Kevin. Un jour, il va chercher Kevin à l'école et rencontre l'institutrice, mademoiselle Chambon. Entre eux, peu de mots, mais ils sont de ces êtres qui se reconnaissent sans se parler. Quelque temps après, elle lui demande de venir remplacer une fenêtre chez elle...
Magnifique roman d'amour, tragique et dérisoire réalité de la vie : il est toujours trop tôt, ou trop tard, et l'on passe à côté de l'essentiel. Le drame, c'est d'en être conscient. "
La dernière phrase est une bonne introduction à ce roman.
C'est un livre délicat, pudique et très émouvant. Une histoire d'amour tout en retenue et en finesse.
Il m'a fallu quelques pages pour pouvoir entrer dans ce livre. Je n'ai pas, tout de suite, été convaincue. Mais quelques pages plus loin j'étais cuite.
C'est un très beau livre que je vous conseille vraiment de lire. Et je pense que, d'avoir vu le film, n'est pas du tout un frein à cela. Au contraire... Les personnages n'en auront que plus de chair et de clarté. J'avais, tout du long de ma lecture, l'image de Sandrine Kiberlain, je trouve qu'elle fait une très émouvante Mademoiselle Chambon. Tout en délicatesse...
C'est un tout petit livre (157 pages) que j'ai lue en un week end. Me retenant de ne pas le lire trop vite pour faire durer le plaisir.
Champagne-Ardenne - Montmirail - Marne
Tout se passe dans un petit village, un petit bourg de province :
" Le soleil de cette fin d'après midi, printanière avant l'heure, jetait un éclat joyeux sur les facades en brique rouge, les durs balcons de ciment. Antonio, quoiqu'il eût connu Montmirail depuis l'enfance, n'aimait pas la ville sans grâce. Il ressentait parfois, à la faveur d'un souvenir ou d'un instant comme celui-ci, une espèce de sympathie pour l'endroit. Cela s'arrêtait vite là.
Il faut avoir grandi, puis vivre dans un même bourg de la province profonde pour éprouver le poids de l'enlisement, les grandes espérances ramenées aux proportions d'un compte bancaire, l'ennui auquel on n'échappe plus que par d'infimes détails : un magasin qui ouvre, la fermeture d'un ancien, le vote, au conseil municipal, d'une nouvelle fontaine"
La première fois qu'ils se retrouvent seuls tout les deux, c'est lorsque Antonio vient réparer la fenêtre de Mademoiselle Chambon :
" Non, il ne voulait pas de vin. Il examinait à présent la fenêtre. Vous feriez mieux d'appeler une entreprise, mademoiselle, disait-il, vous auriez au moins un devis et qui sait, sur présentation de la facture, si vous n'arriveriez pas à vous faire rembourser, ne serait-ce qu'une partie ?
Elle, elle observait sa nuque, son cou tellement droit dans le contre-jour, ses épaules larges. Seigneur, l'envie de se nicher là-dedans.../...
Il osait la regarder, elle n'éprouvait plus le besoin de rire nerveusement, il aimait ses yeux redevenus graves, elle se disait qu'il fallait faire quelques chose, tout de suite, pour casser ce lien entre eux.
Lui s'étonnait de pouvoir constater qu'elle avait des cernes, une peau presque diaphane, un visage aigu, des cheveux tirés, et, simultanément, de ne pas en tenir compte. Au contraire, la regardant, il pensait à l'été. Elle rirait, et les cheveux dénoués, tout autour d'elle, brouilleraient le soleil d'une fin d'après midi.../...
Quand il fut parti, elle s'empara bravement de la bouteille de vin, et en but une rasade, à même le goulot. Trois mille balles. Ce n'est rien. J'emprunterai.
Et stop, de se mentir.
Cette fois, c'est clair, je suis amoureuse. "
Et pourtant il ne s'est absolument rien passé entre eux. Mais l'attirance qu'ils ressentent est indéniable.
Et il reviendra chez elle, continuer son travail. Lors du repas frugal qu'il a apporté dans sa gamelle (il refusera qu'elle lui fasse un repas) :
" Le dessert : trois figues sèches dans du papier suiffé. Il se tourna vers elle pour lui en proposer une, qu'elle refusa dans un geste absent. Le papier crissait comme s'il avait enfermé des fruits de grande valeur. Regardant Antonio mordre dedans, elle avait des visions de jardins, de caves fraîches en été, d'ombre sous les tilleuls, de rivières. "
Va suivre alors ce superbe passage :
" Vous savez ce qui me plairait ? demanda-t-il.
Une bière ? Un alcool ? Elle levait les yeux de son livre. Elle avait attendu ce moment. Elle n'avait rempli le Frigidaire, deux jours auparavant, qu'en prévision de ça.
C'est stupide... Il souriait. J'ai presque fini, et je pensais... Ce serait un air... Enfin, vous n'appelez peut-être pas ça un air... Il montrait le violon. Je n'ai jamais vu ça qu'à la télévision.
D'accord, dit-elle.
Elle ne travaillait plus, depuis des années, que sur le violon muet. Bon, dit-elle encore, tandis qu'elle resserrait le crin de l'archet, et, dans le même temps qu'elle vérifiait la tenue sous le menton, accordait l'instrument, oui, je vais vous jouer quelque chose.
Quand il partit, en fin d'après-midi, elle tira d'une pile de livres une minicassette et la lui offrit. Elle l'avait enregistrée, dans le temps, lors d'une diffusion sur France-Musique. Sur la boite, tracé de sa belle écriture scolaire, on pouvait lire Bartok, sonate pour violon seul. Elle venait de lui en interpréter un morceau, pas la chaconne, cependant, et pas l'adagio, trop difficiles.
Lorsqu'il eut fini de ranger ses outils dans la voiture et qu'il s'assit au volant, il la glissa dans l'autoradio.
Deux ou trois kilomètres seulement le séparaient de chez lui. Au moment où il reconnut le passage qu'elle avait joué, un petit chemin de terre s'ouvrait à droite de la route. Il s'y engouffra. C'était un de ces sentiers dont même les cadastres ne gardent pas la trace, et qui ne servent qu'à amener les tracteurs un champ plus loin. Il n'aboutissait à rien, c'est à dire au sommet de la colline, d'où l'on pouvait voir, au-delà de l'étendue du blé qui commençait à se former, Montmirail.
Le vent, ridait le blé comme de l'eau. Montmirail d'ici, tenait dans la main, une cité fragile, tout à coup, flanquée sous tant de ciel bleu. Il rembobina la cassette, moteur à l'arrêt cette fois, appuya sur "play" quand il jugea qu'il y était. Augmenta le volume.
Plus tard, souvent, il reviendra au bout de ce chemin. Le blé mûrira, des orages autont crée des verses dans les épis. Puis, la moissonneuse passée, ce sera sur les chaumes que planera la sonate pour violon seul, toutes portières ouvertes, tandis qu'il verra les cheveux courts et noir effleurer l'instrument, enfin ce sera sur la terre nue, remuée à grosses mottes, épaisse, huileuse presque, des corbeaux s'y abattront, mais là, ce sera l'hiver, et la chape posée sur le souvenir de mademoiselle Chambon regardant comme lui les champs en juillet. Montmirail, au loin, s'allume, la nuit tombe. "
N'est ce pas là un passage magnifique ???
Je vous l'ai dit ; c'est un petit livre tout en finesse, tout en délicatesse.
Je trouve que c'est là une superbe image de l'amour.
L'amour qui est là, mais qui ne demande rien...
Un des plus beaux passages du roman.
J'espère vous avoir vraiment donné envie de lire ce livre. C'est une petite merveille dont il serait dommage de passer à côté.
Moi, j'ai été séduite.
Il n'y a aucune raison de vous en priver, le nombre de pages fait que vous le lirez très vite. Et son prix est tout petit (en poche, "j'ai lu").
Très belle lecture.
Je ne résiste pas à l'idée de vous offrir ce morceau de violon :