Lecture commune avec Claudia Lucia et
Ptitlapin
« J’ai de ce voyage impromptu un souvenir d’abandon comme on en connaît par parenthèses dans les convalescences, quand se volatilise la douleur pour laisser place à
une sensation de faiblesse et de bien-être, d’autant plus merveilleuse qu’elle est encore menacée. » P89
Voilà une lecture qui m’a donné bien du fil à retordre… Je ne suis même pas sûre que j’aurais achevé ma lecture si cela n’avait pas été pour une lecture commune… Pourtant le talent est là,
indéniable… Si vous recherchez une écriture travaillée comme de l’orfèvrerie, ce livre est pour vous.
Mais justement je pense que le problème est là : elle l’est trop… Le texte est tellement travaillé que du coup les personnages perdent toute réalité, enfin, du moins, c’est l’impression que j’en
ai eu…Sans doute pour ça que je n’ai pas adhéré, que je n’ai pas pu m’immerger dans ce texte. Les phrases sont longues, interminables… On n’en voit pas le bout.
Et puis on s’y perd un peu dans ses allers retours dans le temps… J’avoue avoir eu un ,peu de mal à m’y repérer.
Encore une fois j’ai cette impression désagréable d’être passé à côté d’un texte magnifique… Mais justement, il l’est trop… Il est tellement intellectualisé que, toutes émotions, toutes
sensations, en ai annulés.
C’est une lecture qui demande toute votre concentration, votre attention…
Et du coup, ayant besoin d’un calme absolu (ce qui n’arrive pas souvent à la maison) je n’avançais pas très vite dans ma lecture.
Tout commence par l’arrivée de narratrice dans le Sud-Ouest pour examiner un fonds de plaques photographiques trouvés dans le désordre et la poussière d’un grenier d’un vieux château du vignoble.
C’est d’ailleurs un de mes passages préférés, la découverte du château et surtout, lors de son départ pour rechercher un endroit ou dormir et se restaurer, la découverte de la nature avoisinante
qu’elle décrit remarquablement bien…
« …/… et je m’engageai bientôt sur une de ces routes rectilignes de forêt qui dardent vers l’océan, qu’encadre la haute futaie des pins bleuis par le soir, dont la
hachure serrée des troncs feutre la profondeur d’une brume indécise, parfois entaillée d’une vaste clairière de jeunes plants ou d’une piste de sable filant au loin, qu’au passage j’entrevoyais
du bord de l’œil, des percées rapides dans l’ombre grandissante tels les éclairs de soufre qui éclairent la pénombre des orages secs…/…» (P27)
Et puis il y a la rencontre avec une jeune femme, Laura, dans le noir complet, dans une forêt ou la narratrice était venu perdre ses pas, n’arrivant pas à trouver le sommeil après son repas dans
une auberge au milieu de la pinède.
« …/… l’élan forcé de la marche apprivoisant peu à peu ce petit simulacre d’exil volontaire qui ressemble tant à l’oubli et parfois, dans l’éloignement, quand
s’épuise enfin le texte insomniaque, en moi comme au dehors, je ne perçois plus qu’un brouillard de grisaille diffuse à peine percé de halos jaunes, de pâles astres sans résistance perdus dans la
sombre rumeur colmatée, la note basse et continue à quoi se résume le grondement des villes ou de nos vies, alors quand j’atteins cette zone d’anesthésie mentale j’ai un moment de bien-être
parfait, la sensation toute provisoire d’avoir trouvé l’oubli, alors je rentre et je m’endors../… » (P37)
Mais est-ce qu’elles se « connaissaient déjà » cela, je ne le sais toujours pas, perdu comme je l’étais entre l’avant, l’après, le pendant…
Bref, l’histoire est vite raconté… A cela se rajoute des photographies trouvés dans le château, terribles, d’une jeune femme suppliciée, et la recherche de la narratrice de l’auteur de ces
photos…
Il y a aussi les enfances de Laura et de la narratrice, toutes deux privés de mères et des vies familiales assez compliquées.
Certains passages m’ont vraiment touchés, comme celui où le père de Laura la rejoint parce qu’il est inquiet pour sa fille et que l’on sent qu’il pourrait se passer quelque chose d’important, que
la communication manqué depuis toujours, pourrait là, se faire enfin… Mais finalement non, Laura laisse partir son père sans avoir osé faire ou dire ce qui aurait pu amener les mots…
Et puis il y a les passages ou la narratrice s’aperçoit qu’elle a été incapable de voir les infirmités de ceux qui ont comptés dans sa vie professionnelle et qu’elle s’interroge sur le pourquoi
de la chose…
Comme si elle était aveugle dans la perception de certaines réalités…
D’ailleurs le livre, tout entier, ne semble pas tourné vers la réalité, on dirait que tout est entouré d’un halo, d’un brouillard qui entoure les personnages et leurs vies
Ce livre tourne aussi autour de la photographie et du souvenir. Là aussi, de très beaux passages…
« Je crois que nous le savons, par ces voies imaginaires qu’emprunte la connaissance, qui sous leurs formes de fable ou de fiction enseignent autant à l’homme que
les spéculations de l’algèbre et de la logique, nous savons aussi que le sommeil des images endormies, en attente de développement, a la même patience infernale que nos rêves et nos cauchemars
pour nous révéler, longtemps après que nous les avons conçues, leurs figures immémoriales, de même le visage des morts que nous aimions comme celui de nos démons, et le nôtre dont la ressemblance
nous tourmente. » (P125)
Beaucoup de passages aussi sur la lecture, sur les livres qui sont vraiment surprenants et qui m’ont vraiment interpellés…
« Les personnages de fiction ne nous éclairent pas, ils réfléchissent sur nous, ils nous réfléchissent, voilà qu’ils nous regardent. Ils nous engagent et nous
baptisent dans la langue, apparitions. Parce que les mots sont plus forts que le monde, ils sont dangereux, ils nous obligent. A ce prix, l’art est l’exacte vérité du monde, l’impudeur extrême
des constructions de notre imaginaire, qui est la forme, sous laquelle nous instruisons le réalité, aussi pouvons-nous dormir les yeux grands ouverts, le roman est une représentation vraie et
nous y courons des périls extrêmes, parce que nous y sommes d’intelligence avec nous-mêmes. » (P92)
Au final je suis contente d’avoir été au bout de ma lecture mais je dois dire que je suis soulagée aussi de l’avoir finie, ce n’était pas une lecture qui allait de soi…
C’est une lecture qui, il me semble, est, tout comme l’était celle de « Mrs Dalloway » , une lecture qui se déguste par petites bouchées sous peine d’indigestion.
Mais je me rends compte aussi à relire tous les passages que j’ai notés et que j’ai envie de vous donner, que c’est une lecture qui m’a touché plus que je le croyais lors de ma lecture…
Il y a parfois des romans comme ça, un peu éprouvants lors de la lecture, mais qui, par après, vous laissent un grand souvenir ému et, vous vous apercevez que ce livre, finalement, restera parmi
ceux qui vous laissent une empreinte certaine…
Un seul conseil, lisez le, parce que c’est un texte vraiment prometteur et extrêmement différent de ce que l’on peut lire d’habitude… Mais il demande que l’on prenne son temps… Ce n’est pas une
lecture à bâcler..
Allez, un petit dernier, juste pour le plaisir…
« Ainsi, disait peut-être encore la voix sourde de Battistini, les hommes savent-ils que toute création exige un lien retiré de songerie sauvage où ne s’opposent
plus, mais s’échangent et se marient, la raison logique et l’intuition, se fabriquent les opérations imaginaires par lesquelles ils consolent, à défaut de guérir, la désespérante condition
humaine, aussi le regard oblique et bas de la « madonna del parto » donne-t-il à qui entre là, si ignorant ou savant soit-il, dans ce sentiment mêlé d’angoisse et de paix, la conviction qu’elle
parle sa langue intime à tout un » (P100)
La Madonna del parto, Piero della Francesca (source)