A mon tour de vous parler d'une sortie poche sur laquelle vous devriez bondir.
Il s'agit de mon ENORME coup de coeur de l'année 2011 ; Les insurrections singulières qui parait dans la collection Babel des éditions Actes Sud
Une fois n'est pas coutume je vous redonne mon billet du jeudi 07 avril 2011 dans son intégralité. Vous n'avez plus aucune excuse maintenant de ne pas le lire !!
Je n’avais pas été aussi remué par un livre depuis décembre avec « Le livre de Dina » C’est le texte le plus fort que j’ai lu depuis le début de l’année.
Pourtant j’ai bien failli passer à côté de ce texte, même si j’ai une véritable passion pour l’auteur, le sujet, vraiment ne m’attirait pas des masses… Le
militantisme syndical, la sidérurgie, bon, tout ça…bof bof…
Et puis, c’est Noukette qui m’a
ouvert les yeux avec son très beau billet et quelques jours après je l’ai eu entre les mains dans ma librairie, j’ai lu juste la première page et là, paf, j’étais cuite… Impossible de rentrer
sans lui !!!
Et maintenant, après ma lecture je peux vous dire que j’ai eu chaud… Dire que j’aurais pu passer à côté de ce livre magnifique… Ouf, merci Noukette !
C’est incroyable comme chaque mot, chaque phrase, chaque ligne de ce roman a résonné en moi… m’a parlé… C’est un livre qui ne fait que 200 pages et pourtant j’ai
rempli quatre feuilles pleines de notes. Pratiquement à chaque page, j’avais l’envie de noter des lignes.
Il faut lire ce livre… Absolument…
Parce que vous y trouverez des vérités bien assénées…
Une histoire de mots qui ont du mal à se dire, ceux qu’attendent Karima en vain.
Un homme en colère mais qui s’apaise…
Un autre qui aime les livres et qui va lire ses passages préférés à sa femme, sur sa tombe…
La dureté du monde du travail mais aussi l’honneur et la dignité des hommes qui se battent pour le garder.
L’histoire commence par le souvenir qu’Antoine (le narrateur) à de sa fugue à l’âge de huit ans. En regardant son père faire une de ses maquettes il ressent une
sensation d’étouffement, d’enfermement.
« Les maquettes c’était le monde en miniature, un monde qui tenait dans le creux d’une main. Réduit. Moi, le monde, je le voulais grand. Pas
réduit.
Et ma respiration se cognait contre les bords…/…
Nous quatre, dans notre maison, ma mère, mon père, mon frère Loïc qui faisait ses devoirs à l’étage et moi, je nous ai vus. Tout petits dans le
monde. Si petits.
Réduits, nous aussi ? »
Fugue dont ses parents n’ont jamais rien su puisqu’elle n’a duré que le temps d’une course éperdue jusqu’à la voie de chemin de fer.
Aujourd’hui Antoine est revenu vivre chez ses parents suite à une rupture qui fait mal. Karima est parti.
« C’est des moments comme ça qui disent que c’est fini, une histoire même si ça dure encore un peu. Ça s’étire, c’est tout, ça ne vit plus comme
avant, ça essaie de tenir mais tôt ou tard l’élastique fera son œuvre. »
« Ma mère s’est mise à monter, descendre : les draps, les serviettes de toilette. Elle m’installait. Mon père faisait le café. Et moi je les
laissais s’occuper. De moi.
Je me sentais comme un lieu vide. Désaffecté. »
Karima est parti parce que les mots lui manquent. Antoine ne les trouvent pas pour elle alors que ceux, pour la révolte viennent tout seul.
« Je prenais la parole devant des groupes, au café, où ont se réunissait. Ils m’écoutaient. Plus ils m’écoutaient plus j’osais. Ces paroles là je
pouvais. C’était facile parce qu’elles disaient des choses qu’on vivait tous ensemble. Ce que j’arrivais pas à dire, c’étaient les mots du dedans, les miens. Pas ceux de « la classe ouvrière » en
lutte, ceux du gars que j’étais, moi tout seul, à l’intérieur. C’était ça qu’elle attendait, Karima ? On était sur une fausse piste, tous les deux. Elle voulait que je lise des livres. Je ne
pouvais pas non plus. Les livres qu’elle me mettait dans les mains, ça touchait à des choses trop intimes. Je n’y arrivais pas. Elle ne comprenait pas.
Elle s’éloignait.
Elle n’avait pas envie de vivre avec la classe ouvrière tout entière.
Comment je pouvais être si fort en paroles pour le collectif et pour elle, rien ? Nada. »
Parce qu’il y a le combat qu’Antoine mène avec les autres, avec Frank, pour se révolter de la délocalisation à Monlevade de Lusine (c’est comme ça
qu’il l’a nomme). Il y a la révolte de Frank qui voudrait travailler en gardant son honneur.
« La voix de Frank ne lui ressemblait plus. Ils se foutent bien de notre gueule, il disait, tiens ! Et qu’est-ce qu’on
va leur dire, à nos enfants ils y pensent des fois ? On va leur dire de travailler à l’école ? De faire des efforts comme nous ? Et tout ça, pour être jetés
au bout du compte ? Comme des moins que rien ? On peut plus leur dire de faire comme nous, à nos gosses . On n’est plus des exemples pour eux, ah non ! Alors on est quoi ? »
Il y a aussi la rencontre avec Marcel qui voyage avec les livres et qui entraînera Antoine dans la lecture.
Ce livre parle encore de nos rêves de mômes, plus grand que
l’Himalaya.
« Je voudrais prendre le temps de demander à tous ceux que j’ai vus ici « c’était
quoi votre rêve quand vous étiez môme ? » Juste pour savoir. Pour entendre de belles choses. Parce que je suis sûr que des rêves, ils en avaient. Il n’y a pas que moi, bon Dieu. C’est pas parce
qu’on fait tous les jours des gestes simples, toujours les mêmes , que dans la tête il ne se passe pas des choses complexes. Les rêves c’est complexe, ça vous
envoie là où vous ne devriez jamais mettre les pieds. Les ouvriers, on a tort de croire qu’ils ne rêvent que du dernier écran de télé ou du barbecue sur la terrasse du pavillon. J’ai
côtoyé ici des gens qui avaient des rêves de fou, ils n’en parlaient pas c’est tout. J’en suis sûr. »
Et de l’enfance qui fait de nous ce que nous sommes
« Je repensais à ma course effrénée Même si ma fugue n’avait duré que le temps d’un orage,
c’est elle qui faisait qu’aujourd’hui je marchais dans ces rues. J’en étais sûr. Éric, le petit voisin, Elias, le garçon aux parents sourds-muets, m’avaient guidé jusqu’ici, jusqu’à cette part de
moi remisée dans le mot « enfance ». Un mot bien pratique pour mettre le couvercle sur les désirs.
Pourtant la force, elle était là.
C’est de l’enfance que venait mon insurrection. »
Et puis, surtout, ce livre est une formidable apologie de la lecture. La lecture comme force, la lecture comme horizon, la lecture comme un ciel sans aucune
limite…
Il y a la rencontre avec Marcel, le bouquiniste qui fait découvrir à Antoine, le grand l’immense plaisir de lire.
« Marcel :
« Tu vois, moi j’ai des passions, les livres, ça me sauve… je traverse mes temps morts avec des gens qui ont œuvré pour ça, ceux qui ont écrit… je
les aimes et je leur suis infiniment reconnaissant du temps passé devant leur table…
Ils m’aident à traverser. Et qu’eux soient morts ou vivants ça n’a plus aucune importance. J’ai le livre en main et c’est du carburant pour ma vie à
moi. »
Marcel qui donne de sacrées définitions du temps mort, de la vraie révolution, celle qui se fait dans la solitude, celle du désir qui meurt, foudroyé par le manque
de temps et le stress de la vie actuelle…
Ce livre parle des zones obscures, celles que l’on doit traverser forcément pour se sentir vivant.
Ces zones obscures, dont on a peut-être besoin pour trouver la sérénité.
Il y a tout ça dans ce livre... et tellement plus encore...
Ce livre… Il est grandiose et puis c’est tout…